Elisabeth Guigou, Candidate Socialiste aux législatives pour la 9ème circonscription de la Seine Saint Denis (Bondy, Romainville, Noisy le Sec)
http://www.elisabethguigou.com/
Deuxième séance du mercredi 22 novembre 2006
61e séance de la session ordinaire 2006-2007
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, vice-président
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M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou.
Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un an, des émeutes urbaines ont éclaté, d'abord en Seine-Saint-Denis, puis dans trois cents villes de France : dix mille voitures brûlées, des autobus incendiés avec des passagers à l'intérieur, une femme handicapée qui a failli être brûlée vive, des écoles et des gymnases de communes détruits. Personne, monsieur le ministre, personne sur ces bancs n'a excusé ces violences. Et pourtant, trois mois après, nous avons eu la barbarie : Ilan Halimi a été torturé et assassiné. À Épinay, un père de famille a été tué en plein jour sous les yeux de sa femme et de sa fille, alors qu'il photographiait un Abribus. Dans la même ville, le mois dernier, des policiers agressés ont sorti leur arme, ce qui ne s’était jamais vu, y compris lors des émeutes urbaines.
M. Éric Raoult. Bravo ! Elle va adhérer à l’UMP !
Mme Élisabeth Guigou. À Marseille, une jeune fille brûlée vive dans un bus lutte encore pour survivre.
Insurrections des cités, faits divers atroces, oui, il faut agir et obtenir des résultats, rompre avec l'inexorable montée de la délinquance et avec l’impuissance des politiques de sécurité. Il est de notre responsabilité à tous, élus de la nation, de trouver les moyens d'enrayer la montée de l'insécurité qui frappe durement les plus démunis et qui mine les valeurs de la République.
La sécurité de nos concitoyens mérite mieux que des caricatures grossières et des critiques outrancières. Personne n’excuse les violences. Personne ne prône l’impunité, contrairement à ce que M. Sarkozy répète sans arrêt depuis près de quatre ans.
M. François Grosdidier. Vous ne vous contentiez pas de la prôner, vous l’organisiez !
Mme Élisabeth Guigou. Tous, nous voulons des résultats. Nous ne voulons plus que les violences sur les personnes augmentent dans notre pays de près de 7 % par an – de 27 % depuis quatre ans.
M. Yves Bur. Vous vous réveillez enfin !
Mme Élisabeth Guigou. S’il est vrai que la délinquance générale a globalement diminué en France, ce n’est, hélas, pas le cas en Seine-Saint-Denis où, selon une note adressée par le préfet au ministre, la délinquance a augmenté de 13,7 % pour le seul mois de mai 2006.
M. Éric Raoult. Faut-il donc ne rien faire ?
Mme Élisabeth Guigou. Ce texte produira-t-il des résultats ? Constatons d’abord qu’il s’agit du sixième texte sur la délinquance depuis le début de la législature, et de la quatrième révision depuis 2002 de l’ordonnance de 1945 – ce qui en fait une par an. Aucun des cinq textes précédents n’a empêché la délinquance de se développer.
M. Serge Blisko. On patauge !
Mme Élisabeth Guigou. Aucun de ces textes n’a d’ailleurs fait l’objet d’une évaluation.
M. Jean-Pierre Blazy. Absolument !
Mme Élisabeth Guigou. Ce texte, qui mobilise cinq ministres et traite de multiples sujets, du rôle du maire aux chiens dangereux en passant par les gens du voyage, va-t-il enfin, six mois avant la fin de la législature – cela fait quatre ans et demi que vous êtes au pouvoir – apporter les réponses que nos concitoyens attendent ?
M. Serge Blisko. C’est long !
Mme Élisabeth Guigou. Hélas, je crains que votre texte ne fasse fausse route sur au moins deux sujets majeurs : la nécessaire coordination des acteurs de la lutte contre la délinquance et la justice des mineurs. Je redoute surtout qu’il ne passe à côté de l’essentiel, c’est-à-dire les moyens de lutte contre la délinquance et ses causes.
En ce qui concerne les maires, votre projet de loi affiche un objectif qui est celui de tous les gouvernements depuis le colloque de Villepinte en 1997 : mettre le maire au centre du dispositif de prévention. C’est ce qu’avaient organisé les contrats locaux de sécurité créés en 1998, devenus les contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui sont en effet des lieux utiles d’échanges et de rencontres des représentants du parquet et de la police, ainsi que tous les acteurs de la prévention, sous l’égide du maire. Ce dernier est en effet le mieux à même de coordonner les échanges d’informations – je dis bien d’informations – entre tous ces acteurs sur un territoire. Mais à nos yeux, il n’a pas vocation à devenir un acteur de la chaîne pénale et à se transformer en délégué du procureur pour imposer des sanctions.
M. Éric Raoult. Ce n’est pas le cas !
Mme Élisabeth Guigou. Non seulement parce qu’il est important de respecter la séparation des pouvoirs politique et judiciaire, mais aussi et surtout parce que si le maire devenait un acteur de la chaîne pénale, il serait privé de son rôle et de son atout principal : celui d’être un médiateur. Or, notre société a besoin de ses maires, comme on l’a vu lors des violences urbaines de l’an dernier.
Ce qui serait en revanche absolument nécessaire, c’est de donner aux maires les moyens nécessaires à leur action. Il faudrait pour cela qu’ils puissent disposer de moyens de prévention, notamment de moyens sociaux, et rétablir la police de proximité.
M. Yves Bur. C’est vraiment n’importe quoi !
M. Pierre Cardo. C’est un leurre !
Mme Élisabeth Guigou. Malheureusement, il sera extrêmement difficile de rétablir ce qui a été supprimé.
M. Yves Bur. Le temps de la nostalgie est passé ! Venez chez moi, je vous montrerai une police de proximité efficace !
Mme Élisabeth Guigou. Les maires ont également besoin de maisons de la justice et du droit afin de pouvoir agir précocement contre la délinquance. Il n’y en a que six en Seine-Saint-Denis…
M. Éric Raoult. Sept !
Mme Élisabeth Guigou. Vous avez peut-être raison !
…alors que chacune des quarante villes devrait en être dotée.
M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !
Mme Élisabeth Guigou. Les maires devraient aussi pouvoir compter sur des forces de police suffisamment présentes. Or, nous savons très bien que des quartiers entiers sont complètement abandonnés. Ainsi, une antenne de police qui avait été ouverte au sud de la ville de Bondy en 2002 a dû être fermée moins d’un an plus tard pour cause d’effectifs insuffisants.
M. Julien Dray. Et c’est la région Île-de-France qui en avait financé l’ouverture !
Mme Élisabeth Guigou. En Seine-Saint-Denis, le nombre de policiers par habitant est trois à quatre fois moins élevé qu’à Paris, alors même que la sécurité du Stade de France impose des contraintes considérables…
M. Jean-Pierre Brard. C’est vrai !
Mme Élisabeth Guigou. …et que ce département est celui qui reçoit le plus de visites de ministres, tant il est gratifiant pour eux de s’y faire photographier.
Si l’on voulait être efficace et permettre au maire d’être un véritable coordonnateur, ce sont ces moyens-là qu’il faudrait leur fournir.
Quant à la police, elle effectue sa mission dans les quartiers difficiles dans des conditions très préoccupantes. Mais c’est justement en Seine-Saint-Denis que l’on affecte les policiers les plus jeunes ; ceux-ci restent très peu de temps dans ce département du fait des conditions insuffisamment attractives qui leur sont offertes.
Pour rétablir des relations de confiance entre la police et la population, il faudra un travail de longue haleine. Un résultat ne peut être espéré que si plusieurs conditions sont remplies : augmenter les moyens et les effectifs de police, et inciter les fonctionnaires à rester plus longtemps dans ces quartiers.
M. Éric Raoult. Il faut du respect, aussi !
Mme Élisabeth Guigou. Il faudrait rétablir la police de proximité – mais pas au détriment de la police judiciaire si on veut améliorer le taux d’élucidation. Nous avons besoin de toutes les formes de police.
M. Éric Raoult. Il fallait voter la LOPSI, qui prévoyait une augmentation du nombre de policiers !
M. Jean-Pierre Brard. Mais c’est vous qui avez réduit les effectifs ! Moins 20 % à Montreuil !
Mme Élisabeth Guigou. Il est très important d’organiser le travail de la police en partenariat avec les principaux acteurs de la prévention. C’est ce que m’ont demandé les policiers que j’ai rencontrés. À opposer police et justice, on n’obtiendra aucun résultat.
En ce qui concerne la justice, le ministre de l’intérieur s’insurge contre l’impunité des actes commis par les mineurs. Mais contrairement à ce que prétend M. Sarkozy, personne ne veut l’impunité : aucun élu, aucun magistrat, aucun enseignant, aucun responsable d’association.
M. François Grosdidier. Pourquoi la pratiquent-ils, alors ?
Mme Élisabeth Guigou. Si beaucoup d’actes de délinquance restent impunis, c’est d’abord parce que le taux d’élucidation reste trop bas…
M. François Grosdidier. Ce n’est pas vrai !
Mme Élisabeth Guigou. …même s’il s’est amélioré – je ne stigmatise pas les policiers, je pense qu’ils n’ont pas les moyens de faire mieux.
M. Yves Bur. C’est toujours mieux que du temps de Jospin !
M. François Grosdidier. Il fallait voter la loi de programmation !
Mme Élisabeth Guigou. Je pense également que la justice ne dispose pas des moyens suffisants pour faire appliquer ses décisions. À Bobigny, le poste de chef de greffe du tribunal est resté vacant pendant 18 mois ! Les jugements prononcés, n’étant pas notifiés, ne sont donc pas exécutés.
Quant aux structures destinées à accueillir les jeunes délinquants, notamment les multiréitérants, il n’y a pas un seul centre fermé en Seine-Saint-Denis, mais seulement deux centres éducatifs renforcés.
M. Yves Bur. On envoie les jeunes ailleurs : c’est le séjour de rupture !
M. François Grosdidier. On pourrait vous envoyer les nôtres !
Mme Élisabeth Guigou. En effet, mais nous aurions besoin de beaucoup plus de structures. Les magistrats se plaignent de passer des heures à chercher des établissements où placer les jeunes.
Je veux souligner que, malgré ces carences, le tribunal de Bobigny fait bien son travail dans des conditions difficiles : le taux de réponse pénal pour les mineurs délinquants y était en juin 2006 de 88 % et le taux de réponse global pour le premier semestre 2006 de 76 %.
M. Yves Bur. Reste à savoir ce que recouvrent les termes « taux de réponse global » !
Mme Élisabeth Guigou. J’ai donc été choquée par les propos du ministre de l’intérieur au sujet des magistrats.
Sur la justice des mineurs, ne perdons pas de vue les principes des conventions internationales ratifiées par la France, ni ceux de notre droit. Le mineur délinquant n’est pas un adulte délinquant en miniature. Nous savons tous qu’un enfant ou un adolescent évolue, qu’il peut se transformer.
M. François Grosdidier. Un adulte aussi peut changer !
Mme Élisabeth Guigou. C’est pourquoi il convient de toujours privilégier le principe d’éducation – qui n’exclut nullement la sanction – et la prévention. Ces principes retenus par l’ordonnance de 1945 sont d’ordre constitutionnel. Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Conseil constitutionnel, « les mineurs doivent relever d’un traitement pénal différent de celui des majeurs, dont l’objectif principal doit être éducatif et moral. Les enfants délinquants doivent bénéficier de mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. » Ces principes ont été constamment reconnus par les lois de la République depuis le début du xxe siècle. Cela ne veut pas dire que l’ordonnance de 1945 soit intouchable – elle a d’ailleurs fait l’objet d’une trentaine de révisions depuis l’origine.
M. François Grosdidier. C’est Jack Lang qui voulait la majorité à seize ans !
M. Julien Dray. Allons ! Faites-nous plutôt un beau youyou, monsieur Grosdidier !
M. François Grosdidier. Les propos de Mme Guigou ne me rendent pas assez joyeux pour cela !
Mme Élisabeth Guigou. Pour conclure, je voudrais dire que les instruments juridiques de lutte contre la délinquance existent dans notre droit. Ce dont nous avons besoin, c’est de créer un partenariat entre les services publics chargés de la prévention, de faire revenir les services publics dans les cités pour ne plus opposer de façon stérile prévention et répression, mais au contraire pour articuler la prévention, la sanction et la réinsertion – dont nous avons trop peu entendu parler jusqu’à présent.
Au total, nous récusons un texte qui n’est qu’un leurre, une fuite en avant législative pour masquer le grave échec du Gouvernement en matière de lutte contre la délinquance, spécialement celle des mineurs, et d’esquiver le vrai problème : celui des moyens de la police, de la justice et des moyens d’action pour en finir avec les ghettos et l’apartheid social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
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